Fin de la compétition 

Comme beaucoup d’enfants, les jeux de balle agrémentaient bien des moments passés dans la cour de la ferme de mes grands-parents maternels au hameau du Tremblay à Marboz, dans l’Ain. 

Le sport a commencé à prendre une place dans mes centres d’intérêt à mon entrée en pension, en 1956. En 1957, je tenais un cahier de sport en collant des articles découpés dans le journal. 

Étant pensionnaire, je ne rentrais à la maison qu’une fois par mois, je participais aux compétitions sportives organisées dans le cadre de UGSEL sur la base des dispositions plus ou moins grandes que les enfants avaient pour certaines disciplines. 

En athlétisme, ma sélection pour faire partie de l’équipe de l’école en lancement du poids catégorie benjamin était surréaliste tant j’étais petit et malingre. Je pus quand même aller jusqu’aux épreuves, au-delà des marges du département, dans la Loire. Une blessure due à une chute à l’entraînement qui m’avait fêlé la base du radius un mois avant les épreuves ne me permis pas d’aller au-delà. 

Anecdote : le médecin Marboz, mon village, le docteur Doline m’avait prescrit des cataplasmes de boues chaudes à appliquer tous les jours. J’avais compris que l’os qui était touché était la « base uradius ». Je suis resté sur cette certitude jusqu’à aujourd’hui où j’ai constaté sur Internet que cet os n’existe pas et qu’il s’agit en réalité de la base du radius. 

Le second domaine était le football et là, c’est une longue histoire. 

J’ai reçu mes premières chaussures de foot lorsque j’étais en sixième.   

Voici à quoi elles ressemblaient avec des crampons en cuit cloués et l’avant renforcé par une coquille d’acier (pour mieux tirer les pointus). 

Je chaussais du 34. 

Le premier match eut lieu en déplacement à Dagneux, aux portes de Lyon contre l’école Saint-Louis. 

Il me semble que je suis sorti de cette première comme quelqu’un qui ne réalise pas vraiment la teneur de la chose. Cela faisait trop de choses nouvelles à appréhender. Le terrain m’avait semblé immense. 

 Par la suite, une belle petite équipe s’est constituée en minime deux joueurs de l’équipe de 5ème deviendront professionnels (Prost et Callamand.  

Rebora, le fils d’un pied noir marocain dont le père a joué avec Larbi Benbareck à ses débuts à Casablanca me donne un surnom qui m’assimile à ce génie du football. Je suis aux anges. 

Après le cours complémentaire à Saint Louis à Bourg-en-Bresse, mes parents m’interdisent de passer du temps dans un club jusqu’à ce que je réussisse mon baccalauréat. 

De la seconde à la classe préparatoire au concours à l’école d’ingénieurs, je me régale des compétitions de cour d’école sur un terrain de handball goudronné. Je suis très petit, mais je me fais une place indiscutable avec les plus grands.  

Que d’exploits me restent en mémoire comme ces buts marqués du point de corner avec un lift. 

À 18 ans, je suis sollicité par le club de Coligny, village à une dizaine de kilomètres de Marboz. 

Pour mon premier match en division inférieure, contre le village de Confrançon, nous avons gagné 13 à 0. J’avais marqué 7 buts. Prestation suffisamment convaincante pour rejoindre presto l’équipe première. 

Anecdote : Je me rendais à l’entraînement avec la 2 CV familiale. Au retour, il faut traverser le village de Pirajoux. On l’aborde en ayant le soleil plein ouest. J’ai le soleil qui m’aveugle et je dévie un peu vers ma gauche. Au dernier moment, je vois un agriculteur sur son tracteur qui vient en sens inverse. Il me voit lui rentrer dedans. Il est debout sur son tracteur dont il a lâché le volant et il fait des gestes de détresse. À postériori, c’est un peu comme s’il disait violemment non, non, non. Je l’esquive au dernier moment. 

Je joue avant-centre ou ailier et suis souvent gratifié du plaisir du buteur qui fait « trembler les filets ». Les coups francs directs sont une de mes spécialités. Je me souviens encore de plusieurs d’entre eux tant la magie de la chose laisse une empreinte forte dans la mémoire. Je peux décrire au moins deux d’entre eux dont celui de Poncin au cours duquel je suis aligné avec une orthèse de compression de la cuisse qui est atteinte d’une contracture. La balle se fiche sous la barre envoyée par ma jambe valide tandis que la gauche joue simplement son rôle d’appuis. 

Je suis assez à l’aise avec les deux pieds pour frapper et centrer. 

En 1955, je suis retenu dans une sélection régionale pour un match « de gala ». 

Chaque année, à partir du premier mai, nous avons une petite équipe émanant de l’équipe fanion qui s’inscrit dans les meilleurs tournois de sixte. Jusqu’aux portes de Lyon. Pour celui de Saint Maurice de Beynost, nous allons en finale, et perdons contre une équipe de l’OL à 6 heures du matin le lendemain du début de la compétition. 

J’ai encore le goût de l’ambiance, de l’éclairage, de la pelouse, des beaux gestes, et de l’absence d’amertume de la défaite, sous les yeux de Youri Djorkaeff. J’ai aussi le souvenir du dilemme de Joël qui était commis boucher et qui devait être chez son patron le dimanche matin à 7 heures.  

Nous gagnons beaucoup de tournois de moindre importance et accumulons les petits appareils électroménagers qui sont distribués à la famille. 

Anecdote : je relate ce qui suit pour laisser une trace de certains aspects de la compétition régionale entre petits clubs. 

Le cadre, un terrain entouré d’une barrière à deux mètres du bord de touche, un petit vestiaire non chauffé pour chaque équipe et pour l’arbitre. Quelques fois, il n’y a pas d’arbitre et c’est un membre de l’un des clubs, tiré au sort qui officie. 

Coligny, mon équipe reçoit Saint-Paul-de Varax un village de la Dombes. Elle est réputée rugueuse. 

Je marque deux buts dans la première demi-heure. Les décisions de l’arbitre sont contestées et des spectateurs visiteurs menacent de s’en prendre à nos joueurs. De manière paisible et naïve, je m’approche de la zone de conflit lorsque la première rangée s’ouvre et qu’un arrière de l’équipe adverse franchi l’espace et m’assène un coup de poing magistral qui me laisse sur les fesses. Aujourd’hui, cela mériterait au moins le protocole commotion. Le match reprend et je suis obligé d’échanger quelques agressions caractérisées contre un troisième but. Papa qui est le soigneur de l’équipe car il a le don du rebouteux me ramène à la maison. 

Je me revois assis sur une chaise, les fesses un peu en avant, mon père m’enlevant mes chaussettes et dévoilant l’étendue des dégâts cotés membres inférieurs. Mais ce n’est rien à côté de mon visage car le pain a donné aux chairs le besoin de s’adapter. La partie droite du visage est plus grosse que la partie gauche, l’œil est tuméfié, je sens un nerf en travers du nez qui est sensible au toucher.

Je me sens comme le boxeur du sketch de Guy Bedos

Il faudra deux semaines pour retrouver un visage normal. 

Mais laissez-moi maintenant parler du match retour à Saint-Paul-de Varax.  

Le terrain orienté est-ouest penche très nettement. Mon agresseur est toujours arrière droit. Vous l’avez compris il est ce que l’on appelle un bourrin. Je joue à l’aile gauche, il est donc mon adversaire direct. À un moment du match, l’occasion se présente de le dribbler. Au lieu de poursuivre mon action, je l’amène à continuer à essayer de me prendre le ballon et ainsi de suite. Je suis un bon dribbleur et je lui fais ainsi faire un petit tour dans le coin gauche du terrain, devant les quelques spectateurs et notamment ceux de son village. Je ne sais pas combien de temps il faut pour retrouver la face après un tel camouflet ?  

En 1964, je réussis le concours d’entrée à l’ECAM pour faire des études d’ingénieur à Lyon. 

Un recruteur du club de Cuiseaux-Louas qui joue en division amateur équivalent de la troisième division m’invite à passer les tests de recrutement. Je m’y rends et passe les épreuves sous une pluie froide battante. Pas faciles les contrôles ! 

Ils me donnent les conditions : je dois participer à deux à trois entraînements par semaine. 

À cette époque, il faut presque deux heures de route depuis Lyon. Ce serait peine perdue. 

L’ECAM est inscrit dans les compétitions universitaires des principaux sports d’équipe. 

J’ai une licence avec le foot, le basket et le rugby. Mon engagement dépend des disponibilités avec cet ordre de préférence. Il m’arrive de faire un match de basket en soirée et un match de foot le lendemain après-midi.   

Anecdote : Le football est à l’origine d’une capacité dont j’ai profité ma vie durant et encore aujourd’hui. Je peux m’endormir à la demande sans avoir besoin de réveil.  

Le terrain de sport était réservé au foot tous les deux jours. Les autres jours, je faisais la sieste après le repas à la cantine et je me réveillais 5 à dix minutes avant la reprise des cours. 

En première année de l’ECAM, nous devrions faire un stage ouvrier. Je fus reçu pour un mois à l’usine de fabrication de tubes en acier soudé de Lorraine-Escaut à Bessèges dans le Gard. 

Dès le premier jour, mes collègues de travail m’ont introduit auprès de l’équipe locale et dès la première semaine j’étais à l’entraînement de reprise en août. C’est là que Bema, un ancien joueur de Agdes qui était entraîneur m’a appris à tirer les penalties.   

Alors que j’étais toujours le tireur, je n’ai raté qu’un penalty dans tous les matches que j’ai joué jusqu’à l’âge de 35 ans en corporatif avec la SOGEME de Bourg-les-Valence. J’ai arrêté le foot en club ce jour-là.  

Pour mon stage, je logeais et prenais mes repas dans une pension, de famille. Le comptoir où venaient s’accouder les clients était merveilleusement garni d’amuse-gueules dont des escargots d’Espagne à la tomate et au piment. Alors que je n’avais participé qu’à deux entraînements avec Bema, un soir, une personne m’invite à m’accouder au bar avec lui avant le repas. Il se présente. C’était un ancien footballeur professionnel d’origine hongroise (nom à retrouver). Il est entraîneur de l’équipe de foot de Salindres un village à 330 km au sud de Bessèges. On lui a dit du bien de mes capacités. Il a consulté la direction de l’usine Rhône-Poulenc qui est le principal financeur du club. Il me propose un emploi à durée indéterminée. Voici ce qu’il me dit explicitement : « tu seras un col blanc avec un poste dans les bureaux, tes heures d’entraînement seront prises sur ton temps de travail ». 

Il est aisé de comprendre pourquoi je fus conduit à décliner cette offre. 

Il me faut aussi parler du foot en vacances ou en voyage. 

Mes parents avaient été invités par des amis sur la côte espagnole à Laredo. La fille de nos amis avait un ami qui jouait avec la sélection de Cantabrique. Je fus présenté et j’eus le plaisir de m’entraîner avec cette équipe. 

À 18 ans j’avais obtenu un stage à Doncaster dans le nord de l’Angleterre. Les hôtes, chez lui je recevais le gîte et le couvert, m’avaient introduits avec l’équipe locale et j’avais aussi le temps d’un mois pour fouler les gazons extraordinaires des terrains d’entraînement. 

Diplôme d’ingénieur en poche, j’étais redevable à la nation du service national actif. 

Je fus affecté en Tunisie, à Tunis. 

Les commerçants qui nous louaient un appartement faisaient partie de la communauté juive qui soutenait l’UST. Je fus introduit par eux et toute la saison 1969-1970, je me suis entraîné avec ce club de première division (dernier au classement à ce moment-là), jusqu’à jouer un match amical.  

La saison suivante, « je ne me mouche pas du coude », je me présente au Club Africain dont j’ai entendu parler par mes élèves qui sont en deux camps, le Club Africain ou l’Esperance de Tunis. Ils se disputent la première place et le premier joue la coupe d’Afrique des clubs. Il compte 7 internationaux dans ses rangs, ceux-là mêmes qui ont joué la coupe du monde en Argentine. 

L’entraîneur était André Nagy d’origine roumaine. Il fit une belle carrière en Hongrie à Ferencvaros entre 1939 et 1945. Il porta également le maillot du Bayern Munich avant de s'installer en France où il s’exprima sous les couleurs de l'Association sportive de Cannes, l'Olympique de Marseille et le Racing Club de Strasbourg.  

Il accepta immédiatement que je participe aux entraînements mais en me prévenant : « ne venez pas trois jours par semaine vous ne tiendrez pas ». C’est pourtant ce que je fis et ce fut une expérience fabuleuse. 

J’allais et revenais à pied à l’entraînement au cœur de la ville. Nous habitions au troisième étage et c’était un calvaire de les monter au retour, mais quels souvenirs. Ce but de la tête marqué de près à Sadok Sassi, alias « Attouga », le gardien de l’équipe de Tunisie pendant 13 ans. Ce rythme que je n’ai jamais connu ni avant ni après. Malheureusement une hépatite virale me priva de vivre cette belle histoire jusqu’à la fin de la saison et mon retour en France.   

Au retour en France, mon premier emploi me conduit à Pierrelatte dans la Drôme ou j’intègre l’équipe locale pour un an en bénéficiant du privilège honteux, je le reconnais, de ne pas avoir à faire les matchs en déplacement pour raison familiale. 

Vient ensuite la pratique en « corpo » jusqu’à ce fameux pénalty qui pose un stop au football. 

La suite de mes activités sportives c’est cette journée blanche à Rio, lors d’un voyage à l’initiative d’une banque. Un coup de vent annoncé en mer conduit à l’annulation d’un déjeuner sur une île au large de la baie. Je me trouve seul au dixième étage d’un hôtel sur Copacabana. Je n’ai pas de tenue de sport. Je passe un jean que je remonte sous les genoux et je vais trottiner en remontant sur la plage jusqu’à l’hôtel Mercure. J’estime avoir couru environ 7 km aller-retour. J’ai apprécié de courir et de retour en France je commence par faire des tours de ma maison. Il mesure 100 mètres et je commence par le faire dix fois, puis vingt fois et c’est alors que je décide de sortir de ce périmètre. 

J’aurai finalement un parcours de 7 km, un de 10 km et même un de 17 km. 

La pratique solitaire quelques fois en semaine est rapidement remplacée par une pratique hebdomadaire entre amis, Hubert, Bébel, Luc. Ce sont des moments littéralement mémorables au cours desquels on a refait le monde en courant. 

Hubert m’initie au vélo sur route et dès le printemps, les sorties à pied sont remplacées par 3 ou 4 heures de vélo. J’ai acquis un vélo d’appartement connecté sur lequel je peux refaire les trajets pratiqués au temps de notre « splendeur » ; le col de Rotisson par exemple dont le pied est à Charmes sur Rhône. 

Les grandes sorties ont cessé le jour où j’ai été victime d’un refus de priorité par une voiture. Mon casque qui s’est cassé sous le choc de la chute m’a sauvé la vie. J’ai encore en mémoire cette sensation très étrange de sentir bouger la masse du cerveau dans ma boîte crânienne. Suzette mon épouse a mis son véto à cette pratique que je reconnais dangereuse. Nous habitions à cette époque dans la plaine d’Etoile et j’avais conservé un circuit de 25 km autour de la maison que je bouclais en 45 minutes en contre-la-montre. La vallée du Rhône est réputée pour son mistral, certains jours, le circuit ayant le même axe que le vent dominant, la moitié du parcours était assimilable à l’ascension d’un col. 

Je n’ai pas cessé de courir une fois par semaine pendant environ une heure. Ce qui a changé c’est la distance parcourue qui a progressivement baissé de 12 km à 7,8 km aujourd’hui à la veille de mes 78 ans. 

Il faut dire que pendant 4 ans j’ai été empêché par une hanche douloureuse, jusqu’à cette opération magique qui me permets à nouveau de jouir de l’exercice.  

La course à pied, ou la marche rapide ont été l’occasion pour moi d’expériences introspectives concernant le comportement biologique du corps et plus spécialement du cerveau à l’effort. 

Je sais par exemple qu’en 86 sorties, j’ai consommé 46176 calories soit une moyenne de 536 calories. 

Mais je sais aussi que j’ai vécu de fulgurances, d’inspirations consignées dans des notes de footing. 

Cela m’a inspiré un livre intitulé « petit manuel de footing méditatif et altruiste » qui mérite encore d’être retravaillé sur le plan littéraire avant d’envisager sa publication. 

Avec mes trois fils et l’un de mes petits fils en 2015 après l’effort.