Voyage au Japon
Les performances de IMAJE m’ont valu d’être un certain nombre de fois sollicité par l’État pour participer à des réunions au Ministère, à Matignon, pour m’engager dans des organismes parapublics comme l’ANVAR, (Agence nationale de Valorisation de la Recherche), le CFCE (Centre Français du Commerce Extérieur) ou, enfin, pour participer à une visite officielle du ministre de l’Industrie et du Commerce Extérieur, Dominique Strauss-Kahn au Japon.
La délégation était composée d’un autre patron de PME, et de « grands capitaines d’industries », (Renault, Rhône-Poulenc, Louis Vuitton, Arianespace, Faurécia, Salomon entre autres).
Au cours du séjour, nous fûmes invités à un dîner à l’ambassade de France à Tokyo, en l’honneur des autorités et des industriels japonais.
Nous étions par tables de six : deux conseillers du ministre, deux industriels japonais et deux industriels français. Les industriels étaient regroupés par spécialités. À ma table, le patron de NEC pouvait dialoguer avec le PDG de Bull, Francis Lorentz et à ma droite le patron de Canon fut pour moi un interlocuteur aussi agréable qu’inattendu.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Canon est l’un des trois leaders mondiaux des imprimantes de bureau à jet d’encre.
Nous constatâmes que nous avions fait tous les deux personnellement, la même année, le même périple aux USA, en visitant les mêmes entreprises qui détenaient les premières innovations et la première propriété industrielle mondiale en matière de jet d’encre.
En 1982, le bilan mondial de la propriété industrielle pour le jet d’encre était le suivant :
Ces données sont consistantes pour leurs valeurs absolues. Les nombres sont encore faibles car nous étions au tout début de l’émergence d’un grand domaine. Elles sont aussi significatives pour leurs valeurs relatives, la France était à sa place habituelle.
Le japonais « fit son marché » de graines de technologies, aux USA, dans les mêmes pépinières que j’avais moi-même visitées avec un dirigeant du groupe. Mais ce dernier ne disposait pas de l’autonomie suffisante pour s’engager dans l’achat de technologies.
En préemptant ces graines de technologies pour les semer au Japon, ce dirigeant physicien allait ainsi conduire son groupe à une position de leadership mondial dans le domaine des imprimantes de bureau.
À titre indicatif, Canon a déposé 3226 brevets aux USA en 2020.
Quel chemin parcouru !
Certes, nous allions faire de même pour les imprimantes à usage industriel, mais cela concernait une initiative privée pour un marché de niche alors que l’impression bureautique allait être révolutionnée. Ce parallèle n’exonère donc pas de la constatation que ce que les Japonais ont fait avec Canon, les Français auraient sans doute pu le faire. La chaîne de décision qui partait de la détection par un petit ingénieur d’une petite filiale d’un grand groupe d’un domaine en émergence. Le niveau de décision pour s’y engager se situait d’une part au niveau groupe Thomson, un champion national avec la CGE (Compagnie Générale d’Électricité) et d’autre part du CODIS organisme public, créé par l’État pour donner une dynamique à la France dans le domaine de la bureautique. Le circuit de décision qui aurait pu conduire les deux acteurs à s’engager n’a pas fonctionné.
L’un disait, si vous nous aidez, nous investissons. L’autre disait, si vous investissez, nous vous aidons.
Cela se passait pourtant sur fonds de position visionnaire du patron de télécoms au ministère de l’Industrie, Gérard Théry qui prédisait dès les années 70 qu’un télécopieur serait vendu 10 ans plus tard chez Carrefour pour 5 000 francs (750 euros).
C’est en renonçant à la lettre d’embauche de directeur du marketing du groupe pour ce type de produits que j’avais finalement fait un saut dans le vide pour créer un leader mondial du jet d’encre industriel.
Cette rencontre de deux leaders mondiaux dans deux technologies d’écriture par jet d’encre, l’un dans un marché de niche, l’autre dans un gigantesque marché, fut aussi riche qu’improbable.
Je garde un souvenir mémorable de cette rencontre. Le nom de cette personne, Monsieur IAMAJI (de mémoire) est, par ailleurs, étonnamment proche de celui de l’entreprise qui à ce moment-là se nommait IMAJE. Elle est devenue MARKEM-IMAJE à l’occasion d’une fusion.