La tentation du haut niveau
À 18 ans, je suis sollicité par le club de Coligny, village à une dizaine de kilomètres de Marboz.
Pour mon premier match en division inférieure, contre le village de Confrançon, nous avons gagné 13 à 0. J’avais marqué 7 buts. Prestation suffisamment convaincante pour rejoindre presto l’équipe première.
Anecdote : Je me rendais à l’entraînement avec la 2 CV familiale. Au retour, il faut traverser le village de Pirajoux. On l’aborde en ayant le soleil plein ouest. J’ai le soleil qui m’aveugle et je dévie un peu vers ma gauche. Au dernier moment, je vois un agriculteur sur son tracteur qui vient en sens inverse. Il me voit lui rentrer dedans. Il est debout sur son tracteur dont il a lâché le volant et il fait des gestes de détresse. À postériori, c’est un peu comme s’il disait violemment non, non, non. Je l’esquive au dernier moment.
Je joue avant-centre ou ailier et suis souvent gratifié du plaisir du buteur qui fait « trembler les filets ». Les coups francs directs sont une de mes spécialités. Je me souviens encore de plusieurs d’entre eux tant la magie de la chose laisse une empreinte forte dans la mémoire. Je peux décrire au moins deux d’entre eux dont celui de Poncin au cours duquel je suis aligné avec une orthèse de compression de la cuisse qui est atteinte d’une contracture. La balle se fiche sous la barre envoyée par ma jambe valide tandis que la gauche joue simplement son rôle d’appuis.
Je suis assez à l’aise avec les deux pieds pour frapper et centrer.
En 1955, je suis retenu dans une sélection régionale pour un match « de gala ».
Chaque année, à partir du premier mai, nous avons une petite équipe émanant de l’équipe fanion qui s’inscrit dans les meilleurs tournois de sixte. Jusqu’aux portes de Lyon. Pour celui de Saint Maurice de Beynost, nous allons en finale, et perdons contre une équipe de l’OL à 6 heures du matin le lendemain du début de la compétition.
J’ai encore le goût de l’ambiance, de l’éclairage, de la pelouse, des beaux gestes, et de l’absence d’amertume de la défaite, sous les yeux de Youri Djorkaeff. J’ai aussi le souvenir du dilemme de Joël qui était commis boucher et qui devait être chez son patron le dimanche matin à 7 heures.
Nous gagnons beaucoup de tournois de moindre importance et accumulons les petits appareils électroménagers qui sont distribués à la famille.
Anecdote : je relate ce qui suit pour laisser une trace de certains aspects de la compétition régionale entre petits clubs.
Le cadre, un terrain entouré d’une barrière à deux mètres du bord de touche, un petit vestiaire non chauffé pour chaque équipe et pour l’arbitre. Quelques fois, il n’y a pas d’arbitre et c’est un membre de l’un des clubs, tiré au sort qui officie.
Coligny, mon équipe reçoit Saint-Paul-de Varax un village de la Dombes. Elle est réputée rugueuse.
Je marque deux buts dans la première demi-heure. Les décisions de l’arbitre sont contestées et des spectateurs visiteurs menacent de s’en prendre à nos joueurs. De manière paisible et naïve, je m’approche de la zone de conflit lorsque la première rangée s’ouvre et qu’un arrière de l’équipe adverse franchi l’espace et m’assène un coup de poing magistral qui me laisse sur les fesses. Aujourd’hui, cela mériterait au moins le protocole commotion. Le match reprend et je suis obligé d’échanger quelques agressions caractérisées contre un troisième but. Papa qui est le soigneur de l’équipe car il a le don du rebouteux me ramène à la maison.
Je me revois assis sur une chaise, les fesses un peu en avant, mon père m’enlevant mes chaussettes et dévoilant l’étendue des dégâts cotés membres inférieurs. Mais ce n’est rien à côté de mon visage car le pain a donné aux chairs le besoin de s’adapter. La partie droite du visage est plus grosse que la partie gauche, l’œil est tuméfié, je sens un nerf en travers du nez qui est sensible au toucher.
Je me sens comme le boxeur du sketch de Guy Bedos.
Il faudra deux semaines pour retrouver un visage normal.
Mais laissez-moi maintenant parler du match retour à Saint-Paul-de Varax.
Le terrain orienté est-ouest penche très nettement. Mon agresseur est toujours arrière droit. Vous l’avez compris il est ce que l’on appelle un bourrin. Je joue à l’aile gauche, il est donc mon adversaire direct. À un moment du match, l’occasion se présente de le dribbler. Au lieu de poursuivre mon action, je l’amène à continuer à essayer de me prendre le ballon et ainsi de suite. Je suis un bon dribbleur et je lui fais ainsi faire un petit tour dans le coin gauche du terrain, devant les quelques spectateurs et notamment ceux de son village. Je ne sais pas combien de temps il faut pour retrouver la face après un tel camouflet ?
En 1964, je réussis le concours d’entrée à l’ECAM pour faire des études d’ingénieur à Lyon.
Un recruteur du club de Cuiseaux-Louas qui joue en division amateur équivalent de la troisième division m’invite à passer les tests de recrutement. Je m’y rends et passe les épreuves sous une pluie froide battante. Pas faciles les contrôles !
Ils me donnent les conditions : je dois participer à deux à trois entraînements par semaine.
À cette époque, il faut presque deux heures de route depuis Lyon. Ce serait peine perdue.
L’ECAM est inscrit dans les compétitions universitaires des principaux sports d’équipe.
J’ai une licence avec le foot, le basket et le rugby. Mon engagement dépend des disponibilités avec cet ordre de préférence. Il m’arrive de faire un match de basket en soirée et un match de foot le lendemain après-midi.
Anecdote : Le football est à l’origine d’une capacité dont j’ai profité ma vie durant et encore aujourd’hui. Je peux m’endormir à la demande sans avoir besoin de réveil.
Le terrain de sport était réservé au foot tous les deux jours. Les autres jours, je faisais la sieste après le repas à la cantine et je me réveillais 5 à dix minutes avant la reprise des cours.
En première année de l’ECAM, nous devrions faire un stage ouvrier. Je fus reçu pour un mois à l’usine de fabrication de tubes en acier soudé de Lorraine-Escaut à Bessèges dans le Gard.
Dès le premier jour, mes collègues de travail m’ont introduit auprès de l’équipe locale et dès la première semaine j’étais à l’entraînement de reprise en août. C’est là que Bema, un ancien joueur de Agdes qui était entraîneur m’a appris à tirer les penalties.
Alors que j’étais toujours le tireur, je n’ai raté qu’un penalty dans tous les matches que j’ai joué jusqu’à l’âge de 35 ans en corporatif avec la SOGEME de Bourg-les-Valence. J’ai arrêté le foot en club ce jour-là.
Pour mon stage, je logeais et prenais mes repas dans une pension, de famille. Le comptoir où venaient s’accouder les clients était merveilleusement garni d’amuse-gueules dont des escargots d’Espagne à la tomate et au piment. Alors que je n’avais participé qu’à deux entraînements avec Bema, un soir, une personne m’invite à m’accouder au bar avec lui avant le repas. Il se présente. C’était un ancien footballeur professionnel d’origine hongroise (nom à retrouver). Il est entraîneur de l’équipe de foot de Salindres un village à 330 km au sud de Bessèges. On lui a dit du bien de mes capacités. Il a consulté la direction de l’usine Rhône-Poulenc qui est le principal financeur du club. Il me propose un emploi à durée indéterminée. Voici ce qu’il me dit explicitement : « tu seras un col blanc avec un poste dans les bureaux, tes heures d’entraînement seront prises sur ton temps de travail ».
Il est aisé de comprendre pourquoi je fus conduit à décliner cette offre.
Il me faut aussi parler du foot en vacances ou en voyage.
Mes parents avaient été invités par des amis sur la côte espagnole à Laredo. La fille de nos amis avait un ami qui jouait avec la sélection de Cantabrique. Je fus présenté et j’eus le plaisir de m’entraîner avec cette équipe.
À 18 ans j’avais obtenu un stage à Doncaster dans le nord de l’Angleterre. Les hôtes, chez lui je recevais le gîte et le couvert, m’avaient introduit avec l’équipe locale et j’avais aussi le temps d’un mois pour fouler les gazons extraordinaires des terrains d’entraînement.
Diplôme d’ingénieur en poche, j’étais redevable à la nation du service national actif.
Je fus affecté en Tunisie, à Tunis.
Les commerçants qui nous louaient un appartement faisaient partie de la communauté juive qui soutenait l’UST. Je fus introduit par eux et toute la saison 1969-1970, je me suis entraîné avec ce club de première division (dernier au classement à ce moment-là), jusqu’à jouer un match amical.
La saison suivante, « je ne me mouche pas du coude », je me présente au Club Africain dont j’ai entendu parler par mes élèves qui sont en deux camps, le Club Africain ou l’Esperance de Tunis. Ils se disputent la première place et le premier joue la coupe d’Afrique des clubs. Il compte 7 internationaux dans ses rangs, ceux-là mêmes qui ont joué la coupe du monde en Argentine.
L’entraîneur était André Nagy d’origine roumaine. Il fit une belle carrière en Hongrie à Ferencvaros entre 1939 et 1945. Il porta également le maillot du Bayern Munich avant de s'installer en France où il s’exprima sous les couleurs de l'Association sportive de Cannes, l'Olympique de Marseille et le Racing Club de Strasbourg.
Il accepta immédiatement que je participe aux entraînements mais en me prévenant : « ne venez pas trois jours par semaine vous ne tiendrez pas ». C’est pourtant ce que je fis et ce fut une expérience fabuleuse.
J’allais et revenais à pied à l’entraînement au cœur de la ville. Nous habitions au troisième étage et c’était un calvaire de les monter au retour, mais quels souvenirs. Ce but de la tête marqué de près à Sadok Sassi, alias « Attouga », le gardien de l’équipe de Tunisie pendant 13 ans. Ce rythme que je n’ai jamais connu ni avant ni après. Malheureusement une hépatite virale me priva de vivre cette belle histoire jusqu’à la fin de la saison et mon retour en France.
Au retour en France, mon premier emploi me conduit à Pierrelatte dans la Drôme ou j’intègre l’équipe locale pour un an en bénéficiant du privilège honteux, je le reconnais, de ne pas avoir à faire les matchs en déplacement pour raison familiale.
Vient ensuite la pratique en « corpo » jusqu’à ce fameux pénalty qui pose un stop au football.
Sadok Sassi pour toujours au panthéon du football tunisien.