Les gestes inspirés
1 Ou nous frôlons la mort
Nous sommes au début des années 80, nous venons de passer le dimanche à Mercuer, comme souvent en ayant « mis les pieds sous la table » chez les parents de Suzette.
Nous rentrons avec nos trois garçons à Bourg-lès-Valence où le lendemain matin chacun se rend à ses activités.
Nous possédons une voiture Golf héritée de mon père.
Comme souvent le jeu de « qui voit le premier telle ou telle voiture » occupe les enfants tous les trois à l’arrière, sans ceinture.
Séverin a 5 ans, ses deux frères 9 et 11 ans.
La circulation est toujours importante les retours de week-end avec un flot d’Isérois, de Drômois et de Lyonnais.
À l’approche d’un virage, pour une raison qui nous échappe, la file qui nous précède fait pile.
La distance de sécurité n’est pas satisfaite et trois options se présentent : accepter le choc en se contentant de freiner à bloc, se lancer à gauche, mais le risque de choc frontal est évident.
C’est la troisième option qui est choisie par quelqu’un qui n’est plus maître de sa conduite. Métaphoriquement, on pourrait dire qu’un ange gardien a pris la main.
Je braque violemment à droite, puis dans l’instant à gauche.
L’espace entre la file de véhicules et le profond fossé maçonné qui longe la route sur une trentaine de mètres est inférieur à son empâtement. Je frôle les véhicules à gauche et les pneus de droite sont dans la pente qui forme l’entrée du fossé.
J’accélère à fonds ce qui évite de se trouver entraîné au fonds du fossé.
À la sortie du fossé, une énorme borne en pierre de forme conique.
La voiture à ma gauche est un peu décalée vers le centre de la route.
Je passe toujours en accélérant entre la borne et la voiture.
Nous débouchons sur une aire plane sur laquelle en quelques mètres, on peut s’arrêter à droite.
Pendant cet exercice, les temps de réponse entre la conscience de la situation et les actes à accomplir sont en dehors de 500 millisecondes nécessaires. C’est mon cerveau qui est intervenu en bipassant l’étape conscience.
Cyril l’aîné s’est lancé sur son petit frère pour l’entourer de ses bras.
L’épisode a duré moins de deux secondes.
Nous croisons le regard ébahi de certains conducteurs de la file qui repart.
Nous allons aussi repartir après quelques minutes sous les injonctions de Damien, notre second, qui se répète : « on n’en parle pas, on n’en parle pas ».
2 Où je connais une forme le « lâcher prise » dans le sport :
En 1970, je suis invité à un moment de détente avec les professeurs du lycée de Tunis dans lequel j’enseigne la technologie. Ils savent que je m’entraîne avec le Club Africain.
Le projet est un match de football sur un terrain de handball en macadam.
Il fait près de 40 °C
À un moment, je me saisis de la balle et me lance dans une chevauchée vers le but adverse qui aboutit à la réalisation du but.
Cet aboutissement est anecdotique.
Ce qui ne l’est pas, c’est la chorégraphie que j’ai improvisée avec la balle, les partenaires et les adversaires.
Des gestes options idéales, des gestes parfaits, un abandon total à moi-même dans une totale inconscience.
Pour les participants, le but fut aussi anecdotique, ils me témoignèrent de ce dont ils furent témoins. Ils furent témoins de quelque chose d’impensé, c’est vraiment le mot.
Ce fut pour tous une découverte de ce que l’humain peut avoir en lui qu’il ignore.
Essai de Romain NTAMACK (ST) - Stade Toulousain - Stade Rochelais - Saison 2022-2023.
But de Lilian Thuram, France-Croatie 1998.