Professeur au Lycée mixte de la rue de Marseille
J’avais donc été nommé au lycée de jeunes filles de la rue de Marseille, à Tunis. J’y enseignais la technologie à des adolescentes, de manière à les préparer aux formes de modernité que l’on pouvait attendre de cette discipline. Le ministère de l’Éducation nationale tunisien pensait alors que s’adapter au monde moderne passait plus, ici, par l’apprentissage de ce que l’industrie mettait sur le marché que par les « humanités ».
Je n’avais pas de manuel officiel. Je devais inventer les cours. J’avais 9 classes parallèles de 45 élèves. Parmi eux, je n’avais que deux garçons. Les âges allaient de 13 à 16 ans.
J’avais choisi d’étudier des objets courants et d’en faire en classe l’anatomie physique et fonctionnelle. Ils étaient dessinés selon les règles du dessin industriel. Un arrêt de porte permettait de traiter de l’arc-boutement, l’ampoule à incandescence, des phénomènes physiques, de la conductivité, du vide, des matériaux.
Ce fut un véritable bonheur en général, mais aussi en particulier quand, dans les classes les meilleures, la vivacité, l’intelligence, l’habileté, la bonne volonté des élèves confinait au sublime.
Dans le même temps, un autre français, originaire du Doubs, ne tenait pas sa classe. Les élèves montaient debout sur les bureaux et faisaient « pis que pendre ». Il dû renoncer à son poste et fût rapatrié.
Anecdote :
Suzette faisait un remplacement dans mon lycée au moment où le président Bourguiba est rentré d’un séjour en France où il avait été hospitalisé.
Le proviseur vint un matin dans sa classe pour donner des consignes aux élèves. Ils devaient à heure dite se rendre sur le parcours entre l’aéroport et sa résidence en tenue bleue d’écolier et avec des drapeaux à agiter à son passage.
Il commença par dire cela à Suzette en aparté, en français, par courtoisie, avant de le dire en arabe à la classe.
Suzette me fit part du fait qu’elle avait apprécié l’attention qui lui avait été faite d’être informée en français.
L’après-midi, le proviseur se présente dans une classe de terminale dans laquelle je fais un remplacement en mathématiques. Il ne procède pas de la même manière. Il s’adresse directement en arabe aux élèves.
Dès qu’il est sorti de la classe, je m’adresse aux élèves et leur débite exactement ce que Suzette m’a relaté le matin.
La classe est stupéfaite : « Mais Monsieur, vous parlez arabe ? »
« Mais bien sûr, évidemment ! »
La seconde année, je contracte une hépatite virale qui nécessitera un mois de soins à base de cortisone et au prix d’un régime fait exclusivement de steak de bœuf maigre, grillé sans matière grasse, de carottes râpées assaisonnées d’un jus de citron et de pommes de terre à l’eau. Soigné autrement, un confrère dû bénéficier d’un rapatriement sanitaire.
La seconde année est aussi celle du tourisme, car les parents de Suzette ont financé l’acquisition en transit, c’est-à-dire sans les taxes, d’une voiture, Austin mini.
Anecdote :
Le terme est peut-être un peu léger. Nous avons vécu un tremblement de terre assez important et une réplique tout aussi effrayante.
En pleine nuit, un bruit de volets qui claquent et de meubles qui tapent contre les murs auxquels ils sont adossés nous réveille. Je me précipite au balcon et me ravise quand je comprends. Nous prenons nos cliques et nos claques et en voiture, nous rejoignons une immense place au marché Lafayette. Nous y restons une bonne heure avant de rentrer à notre appartement.
Deux jours plus tard, cela recommence. Suzette est en petite tenue, je la précipite dans les escaliers pour ne pas rester dans l’immeuble. Ce ne sera qu’une alerte, l’épicentre ayant été observé près de Bizerte.
Pendant quelques jours, les élèves furent hypersensibles aux vibrations provoquées par le passage des camions.
Anecdote :
Les élèves filles s’intéressaient beaucoup au football et elles étaient fan de deux principaux clubs : le Club Africain et l’Espérance de Tunis. Elles se disputaient leurs mérites respectifs.
Anecdote :
La chose la plus difficile à contrôler fut la consommation de graines de tournesol ou de courge, séchées et salées en classe. Elles appelaient cela des glibettes. Il n’était pas rare d’en voir les reliefs sous les tables.
Lycée mixte de la rue de Marseille.