Jean Millet résistant
Il est important de parler de la manière dont papa s’était positionné pendant la seconde guerre mondiale.
À l’âge de 20 ans, tous les hommes devaient effectuer un stage de 8 mois aux chantiers de jeunesse. Papa a eu 20 ans en avril 1942. Il a évoqué quelques fois la manière dont ils étaient menés à la dure. Je me rappelle cette phrase. « Pour seul repas nous avions deux sardines et un sixième de boule » (sous-entendu de pain). Il m’a aussi parlé des exercices d’adaptation au vertige auxquels ils se livraient en marchant sur le dessus des travées d’un pont en treillis métalliques.
Le STO, service du Travail Obligatoire a été instauré en février 1943. Papa fut appelé. Il fut ce que l’on appelait les réfractaires. Avec deux autres classards, Joseph Sochay et Fernand Pochon, ils simulèrent un départ depuis le village, mais la voiture à cheval qui les conduisait à Bourg-en-Bresse les lâcha à mi-parcours, à peu près, dans les bois de But. De là, ils se faufilèrent dans les bois en direction des Blancs, un hameau de Marboz proche du lieu-dit Berchoux. Ils s’installèrent dans une cabane improvisée jusqu’en octobre, avant de rejoindre le maquis et les FFI. Il avait rédigé un mémoire sur ce séjour sur un cahier d’écolier que j’avais emporté avec moi en pension à Saint-Louis à Bourg-en-Bresse où il m’a été volé. J’en ai gardé l’essentiel en mémoire. Il nous reste aussi des souvenirs des productions auxquelles ils se livraient pour passer le temps, tel ce travail de vannerie mené depuis le végétal jusqu’à l’objet fini.
Il avait une fausse carte d’identité sur laquelle il se nommait Jean Desbois.
Voici quelques témoignages tirés de ce qu’il m’avait confié, de ce que j’ai trouvé dans un ouvrage à paraître et d’un ouvrage écrit par le chef du premier bataillon des FTP de l’Ain le « capitaine Grillon ».
« Réfractaire au STO, Il se cacha avec Joseph Sochay et Fernand Pochon dans les bois des Blancs pendant quelques mois avant de rejoindre le maquis.
Il travaillait avec son père, Prosper Millet, maréchal-ferrant forgeron rue M à Marboz.
C’était lui le chef du détachement des FFI de Marboz.
Il rentrera dans ses foyers après la résistance et exercera le métier de ferronnier avant d’ajouter les machines agricoles.
Note de l’éditeur : Blessé à la jambe par balle, sauvé par une boîte métallique placée dans son sac à dos qui amortira une balle mal (bien) placée, victime d’une éventration lors d’un plastiquage, il avait le corps truffé d’éclats d’obus qui ressortirent plusieurs années après le conflit. »
J’ai personnellement assisté à une opération.
« Cet hiver-là, il était fiévreux et un éclat formait un d’obus d’abcès sur le bord de sa lèvre inférieure. Le docteur Doline, un médecin d’origine russe avait réussi à se faire une belle clientèle grâce à ses grandes qualités professionnelles et humaines, et ceci malgré. Son obédience de libre-penseur, dans ce village très religieux. Il était devenu notre médecin de famille et il vint opérer à la maison.
En « allant chez Doline », mes parents faisaient preuve d’ouverture d’esprit, car le docteur Jacques avait une autre représentativité, que cet étranger athée. Le médecin et le patient étaient tous les deux assis sur une chaise, l’un en face de l’autre. Le premier nommé procéda à une incision de la lèvre sans aucune anesthésie et retira un morceau d’acier de la taille et de la forme d’une lentille dont les bords étaient quelque peu irréguliers.
Il fut placé dans un sachet transparent et conservé comme souvenir et témoignage.
On ne m’avait pas écarté de la scène et je reste admiratif du comportement de l’un et de l’autre. »
Jean Millet était présent lors de l’Attaque du train blindé Allemand en juin 1944. Elle sera relatée dans le détail dans un ouvrage à paraître.
Je sais qu’il nourrissait une peine intérieure profonde à la suite du décès d’une de ses compagnons de lutte dans une embuscade à Saint-Jean-d’Étreux. Lorsque le dimanche il nous arrivait d’aller à la recherche de fossiles dans le Revermont, la proximité de ce village l’amenait même à pleurer.
Papa fut dénoncé comme résistant auprès de la milice par des collaborateurs du village (des collabos) avec l’ennemi.
Je fus éduqué dans le sens du pardon et ne fis pas de différence dans mes relations avec les enfants de ces pauvres gens.
Vannerie de Jean Desbois.