Mes grands-parents maternels

Marie Julie Alphonsine Bonnet dite Cécile est née à Marboz dans l’Ain le 7 novembre 1887 où elle est décédée le 18 mars 1972. Elle épousa Denis Marie Auguste Joseph Névoret, en secondes noces, le 3 août 1918. Elle était veuve de guerre avec 4 enfants de son premier mari. Joseph lui en donna 10 de plus. Elle a conservé toute sa vie un beau visage, régulier, au teint mat. Ses cheveux, toujours tirés en arrière et noués en petit chignon serré, tellement répétitif que je ne le vis même pas colonisé par les cheveux blancs, laissaient nettement la primauté à des yeux marron vert incomparables. 

Quelques anecdotes diront ici la richesse d’un vécu à la ferme qui a indéniablement contribué à la construction de ma personnalité. Elles sont relatées dans mon livre « Dis pépé raconte-nous une histoire de quand tu étais petit » sous-titré : « chroniques de la France d’en bas » 1946-1956. 

À la ferme du Tremblay, ma grand-mère me faisait faire la sieste dans le lit bateau dans lequel couchaient mes jeunes oncles. Le matelas du lit bateau était fait de piles de maïs. Les draps de lin, bien qu’un peu rêches étaient incroyablement confortables bien qu’en général en bataille. Ils étaient imprégnés du séjour de ses occupants. Une odeur forte, mais à aucun moment inconvenante. Elle n’avait rien à voir avec celles qui peuvent être aujourd’hui subies aux files d’attente des caisses des supermarchés. 

Lorsque ma grand-mère trayait les vaches, en début d’après-midi elle s’installait sur un petit tabouret en bois. Ses trois pieds étaient aussi sales de bouse séchée que l’assise était propre et lustrée par ses fréquentations journalières. Elle disait quelques mots annonçant à la vache sa présence, passait familièrement la main sur la cuisse arrière et enfin, assise, elle appuyait sa tempe sur son flanc. Parfois, elle me proposait d’approcher. Je me baissais à peine, ouvrais ma bouche vers laquelle elle dirigeait le pis pressé dont elle extrayait le lait. Il était ainsi consommé à la température corporelle de l’animal.

Un peu plus grand, je m’étais fabriqué une canne à pêche très rudimentaire. L’hameçon était fait d’une épingle pliée; la canne était un simple bâton. Martial, un de mes oncle avait prélevé au Sevron quelques alevins de carpes dont la croissance était régulée par le peu d’espace dont elles disposaient. Quelques lombrics abondaient dans le tas de fumier. Celui-ci,  placé dans un coin de la cour reflétait la richesse de la propriété agricole. Je n’avais pas de peine à capturer quelques-uns de ces cyprinidés de la taille d’une main. Et c’est là qu’intervenait ma grand-mère. Elle passait les poissons éviscérés et écaillés dans le lait entier avant de les rouler dans les gaudes et de les faire dorer dans une abondance de beurre produit à la ferme. La cuisson produisait une croûte parfaite. Sous cette peau ferme et dorée, la chair blanche, à peine ponctuée de quelques veinules rouges était fondante, douce au palais, riche et nuancée sur le plan aromatique. À peine sentait-on la rémanence de l’odeur du milieu ou elles avaient été prélevées.

Le beurre parlons-en. Lors de l’un de mes séjours, un matin, elle me mit dans les mains un bocal d’un litre environ contenant de la crème avec comme mission, par son agitation, de produire le beurre. J’ai abhorré ce moment qui me sembla durer une éternité. 

Joseph, mon grand-père avait perdu son père très jeune dans une rixe non élucidée au retour de la foire aux chevaux de Saint-Amour, dans le Jura. Il avait été placé dans des fermes. C’était un homme courageux, entreprenant et très apprécié de son voisinage. Il reçut à ce titre la reconnaissance de l’état en étant nommé Chevalier du Mérite Agricole. 

Une autre anecdote. Un début d’après-midi, il n’était pas déterminé sur ce qu’il allait entreprendre, alors qu’il y avait du foin à faucher à Chapulin. La grand-mère le lui rappela et il grommela quelque chose qui se termina par « si tou choula ». Elle lui demanda de me prendre avec lui. J’étais fier et enchanté de monter sur le tracteur, un cub Mac Cormick équipé de sa barre de coupe. La prairie était au bord de la rivière le Sevron à quelques trois kilomètres de la ferme. Mais j’étais aussi perplexe car ne connaissant pas le patois, j’avais compris qu’il disait qu’il était saoul. Comme tout semblait sous contrôle, je pus bénéficier à plein de l’expérience. La partie olfactive était probablement la plus notable. Ce mélange d’odeur de tracteur, d’huile, de graisse,  avec celle du foin qui dégage des nuances entre la partie encore humide proche de la coupe et la partie déjà sèche vers les sommités est inoubliable. Ce que véhiculait le grand-père était aussi une expérience de vie, entre les traces de tabac, celle de la sueur gentiment conservée par la chemise et celle du chapeau qui avait sa part de responsabilité. Ce n’est que de nombreuses années plus tard que j’ai réalisé que « tou choula » voulait dire « tout seul ».   

La photo de famille pour le baptême de maman en 1924. Les quatre plus grands sont nés Pochon, les quatre plus jeunes sont nés Névoret. En attendant les six suivants!