Mes grands-parents paternels 

Prosper Louis Millet est né le 24 juillet 1893 à Marboz, dans l’Ain où il est décédé le 23 décembre 1978. Il a épousé Léa Hélène Mercier née en 1899 à Joude en Saône et Loire et décédée à Marboz à 93 ans. Ils eurent deux fils, Jean, mon père et Bernard mon oncle. 

Le père de ma grand-mère était garde barrière au Pont des Chèvres à Bourg-en-Bresse. J’ai connu cet arrière-grand-père à un âge où l’on se contente de voir sans comprendre mais en ressentant déjà. Il n’y avait pas d’espace pour un échange, notre seul point commun était l’énurésie. Quant à l’arrière-grand-mère, je ne garde comme réel souvenir que celui de son décès. Veuve, elle avait été recueillie par mes grands-parents à la fin de sa vie. Ma grand-mère avait pourtant subi de sa part bien des injustices. Se dévouer pour elle était sans doute un privilège qu’elle s’offrait vis-à-vis de ses sœurs qu’elle ne dénigrait pas. Ses trois sœurs lui étaient préférées et cela marqua sans doute durablement son caractère. Elle avait reproduit ce schéma en accordant à mon oncle une admiration pour l’image que sa licence en droit faisait rejaillir sur elle alors que mon père qui avait laissé l’école pour apporter son soutien à ses parents en devenant leur ouvrier n’avait que cette abnégation à faire valoir. 

La frugalité des revenus familiaux qu’elle avait connue l’avait amenée à une relation à l’argent extraordinairement prudente. On n’allumait (terme utilisé pour l’interrupteur) le bec que lorsque la pénombre était totale dans la cuisine, la pièce de vie. Elle ne mangeait que du pain sec, ne buvait que de l’eau, conservait les sacs en papier d’emballage comme des objets précieux. Vu de l’époque c’était une rétrograde, vu d’aujourd’hui, elle serait une pionnière. Cette frugalité s’étendait jusqu’au champ affectif et là, il n’était pas question d’économie, mais de disette puisqu’elle avait tellement peu reçu.

À l’adolescence, j’avais rangé et nettoyé une pièce située à l’étage, au-dessus de la forge et j’avais obtenu l’autorisation d’en repeindre les murs. Cela avait été pour moi l’occasion de réaliser des motifs très originaux. Mais, sous son autorité, je n’ai jamais eu la possibilité de l’occuper. Ces peintures murales sont montrées à la rubrique design.

Ma relation à mon grand-père fut d’une toute autre nature car son tempérament très fort, il était craint, même de ses clients, était doublé d’une énorme empathie. Certes, je l’ai désespéré pendant ces quatorze années où mon corps avait oublié de grandir faisant de moi un gringalet, pour autant mes interactions avec lui ont été à coup sûr fondatrices. Je suis rempli de sa bienveillance, de ses attentions, de ce que j’ai trouvé beau et sain dans son métier et dans sa manière de le mettre en œuvre. 

Alors, les anecdotes, ce sera avec lui. 

J’étais à l’âge où l’on ne prend pas encore ses repas avec les grands. Il m’avait pris sur ses genoux. La famille avait au menu du souper du pot-au-feu froid, reste du dîner de midi. Il aimait y ajouter un peu d’huile de tournesol et de sel. Avec le pain d’André Guillermin mon oncle, boulanger du village, c’était un régal. Dans un moment de connivence, sans que je sache s’il avait voulu me faire partager son plaisir ou si c’est moi qui avais été pris d’un une envie de faire comme les grands, du bout de sa fourchette, il me donna en douce un carré de bœuf assez ferme, sans éveiller l’attention. Dans l’instant, le morceau mal mâché par mes petites quenottes se bloqua dans le fond de la gorge ce qui coupa ma respiration. Mon père me prit immédiatement par les pieds, tête en bas. Il me frappa le dos jusqu’à l’expulsion du « bouchon ». Le soulagement qui fit suite à la stupeur initiale fut aussitôt suivi des reproches de tous… Sauf de moi.  

Un peu plus tard, il m’avait fait réaliser chez le père Lafosse, le bourrelier, un tablier en cuir homothétique de celui qu’il portait à la forge. Les visiteurs, en marge de la visite de notre jardin Mercurart peuvent encore le voir aujourd’hui, tout comme la paire de sabots en bois dont il m’avait gratifié. Il me donnait souvent un sou pour que j’achète un caramel en échange de mon silence lorsque je le voyais prendre la direction du café Michon avec son comparse le « magnin »

En contradiction avec tous les signes de force de caractère reconnus par tout un chacun, il n’avait jamais pu se résoudre à pêcher à la ligne avec des verts de fumier. Nous lui en avions acheté un en caoutchouc. Cela lui permettait de tremper le fil , mais nous ne pouvions pas compter sur lui pour la friture. 

Mes grands-parents furent tout à fait ouverts à la modernité sous l’impulsion de mon père Jean. S’ils furent dans les premiers à posséder une voiture et la télévision, il est plus notable de dire que leur n° de téléphone était le 1 à Marboz. De longs passages lui sont consacrés dans Dis pépé, raconte-nous une histoire de quand tu étais petit. Chronique de la France d’en bas 1946-1956.” évoqué par ailleurs. 

De gauche à droite, Prosper, Jean, Claire, JE, Hervé mon frère et Hélène.

Le tablier en cuir de mon grand-père et le mien lorsque j’avais 7 ans.